« L’idée est de ne pas avoir un rôle de recruteur-examinateur, mais plutôt de recruteur-accompagnateur »

Recruteuse depuis une dizaine d’années pour des fonctions techniques et commerciales, Hélène Ly vient de publier l’ouvrage Recruteurs : 80 questions pour réussir vos entretiens, qu’elle a co-écrit avec l’ex-recruteuse et consultante emploi/marque employeur Christel de Foucault (Eyrolles, 12 septembre 2019).

Quelle place l’entretien occupe-t-il dans le processus de recrutement ? Fait-il tout ?

Helene Ly 273x201

C’est encore une partie centrale du processus de recrutement. C’est la rencontre qui va permettre de creuser de nombreux éléments déjà relevés dans le CV ou lors d’un échange téléphonique. Et pour beaucoup de recruteurs, l’entretien c’est le recrutement. Pour eux, la phase de sourcing n’en fait pas partie alors qu’elle est incontournable. Cela dit, l’entretien devrait plus souvent être complété par la mise en situation de travail. En effet, elle permet au candidat de fournir un échantillon de travail. Pour ce dernier, c’est le meilleur moyen de prouver ses capacités. Je pense donc qu’elle devrait être beaucoup plus répandue. En tout cas, dans certaines fonctions, notamment commerciales ou informatiques, elle me semble inévitable. 

L’entretien prend-il la même place à l’heure des recrutements par les compétences ?

Ce n’est pas sa place qui change mais plutôt la manière de le mener. Aujourd’hui, trop de recruteurs font des entretiens au feeling... C’est d’ailleurs pour éviter cela que Christel et moi avons écrit ce livre. On demande systématiquement aux candidats de préparer l’entretien, mais rarement aux recruteurs... Pourtant, un entretien centré sur les compétences ne donnera rien s’il n’est pas bien préparé. La formulation des questions sera différente, ce qui nécessite un vrai travail de préparation sur ce que l’on veut valider, par exemple en construisant des grilles. Cela peut donner une impression de rigidité mais, bien préparées, celles-ci permettront de réaliser des entretiens beaucoup plus équitables et vraiment centrés sur les compétences. On mettra de côté ce qui relève de l’émotion, de la séduction, du biais cognitif. Après, l’idée n’est pas non plus de se transformer en machine... Il faut laisser un peu d’imprévu et de spontanéité dans les échanges. C’est ça, d’ailleurs, qui est compliqué dans ce type d’entretien : être structuré, tout en gardant une part importante d’humanité dans l’échange.

Comment évaluer ce qui relève des soft skills et du savoir-être sans pour autant tomber dans l’entretien au feeling ?

On peut prendre des précautions. La première est, dans la mesure du possible, de ne pas être le seul interlocuteur du candidat. Sans multiplier les entretiens et les interlocuteurs, on peut être deux pendant l’entretien, ou lui faire rencontrer une autre personne pour recouper les impressions et points de vue. Les soft skills peuvent être évaluées puisque ce sont également des compétences. Des compétences humaines. On peut ainsi poser des questions du type : « Si demain vous êtes en désaccord avec votre manager, que ferez-vous ? » ou « Si demain votre collègue est absent et que l’on vous demande de prendre en charge une partie de son travail, comment réagirez-vous ? ». Cela va permettre au candidat de se projeter dans une situation qu’il pourrait tout à fait rencontrer. Ce type de questions permettent aussi au recruteur d’observer les réactions du candidat pour voir si elles correspondent à l’environnement dans lequel il souhaite l’intégrer. Et, d’ailleurs, les réponses seront plus riches que si on lui demande « avez-vous déjà fait fait telle ou telle chose ? ». Autre conseil : poser un maximum de questions ouvertes. Le candidat pourra parler et le recruteur ne devra pas se contenter d’un simple « oui » ou « non » qui n’a aucune valeur ajoutée en entretien. Enfin, pour éviter d’agir trop au feeling, le recruteur doit se rappeler qu’il ne recrute pas forcément pour lui-même et doit donc se renseigner sur l’équipe que le futur collaborateur intégrera. 

D’après votre livre, mettre en place une relation de confiance est crucial, et ce dès l’accueil. Pourquoi ?

Parce qu’une relation de travail n’est pas simplement une relation de subordination entre un employeur et un salarié... Aujourd’hui, de nombreuses entreprises rencontrent des difficultés à recruter notamment dans certains métiers où on observe une pénurie de candidats. Mettre en place une relation de confiance, c’est dire au candidat que l’on croit dans les compétences qu’il met en avant et qu’en échange on va tout mettre en œuvre pour que la réalité corresponde à ce qu’on lui a présenté en entretien. J’entends souvent des recruteurs dire qu’ils n’ont pas confiance en les candidats parce qu’ils mentent sur leur CV, etc. Ce que l’on dit moins c’est que les entreprises et recruteurs survendent parfois un poste, en ne décrivant pas exactement la réalité ou alors seulement une partie, volontairement ou par méconnaissance. La relation de confiance peut être brisée dès la prise de poste quand un collaborateur se rend compte que ce qui lui a été décrit ne correspond pas à la réalité. Cela explique les forts taux de turn over dans certains métiers, ou le désengagement rapide des collaborateurs. L’employeur a, tout comme les candidats, des devoirs et obligations. Être transparent sur le poste en fait partie. 

Comment « tester sans piéger » et éviter « l’interrogatoire » comme vous le préconisez dans le livre ?

Pour commencer, il ne faut pas se positionner face au candidat comme son supérieur, même si on est son futur N+1. Il ne faut donc pas aborder l’entretien comme un examen, avec ses bonnes et ses mauvaises réponses. Ensuite, comme les candidats sont avant tout des personnes, l’entretien doit être vu comme une rencontre. Le recruteur doit chercher à ce que les réponses données soient les plus proches de la réalité et non pas celles qui lui feront plaisir. Il ne faut donc pas hésiter à rassurer les candidats, en reformulant, en donnant des précisions. L’idée est de ne pas avoir un rôle de recruteur-examinateur, mais plutôt de recruteur-accompagnateur ou de conseiller. En général, quand on adopte cette attitude les candidats sont moins stressés, moins méfiants. Ils donnent davantage des réponses sincères et spontanées, plus proches de ce qu’ils seront capables de donner une fois en poste. 

L’entretien, même très bien préparé, peut-il préserver à 100% d’une erreur de casting ?

Jamais. Aucune méthode ne fonctionne de manière universelle et le recrutement n’est pas une science exacte. Même si l’on essaie de travailler en se préservant des biais cognitifs, de la subjectivité, etc. Nous restons des êtres humains. L’erreur est toujours possible. Cela dit, en structurant davantage ses entretiens, en proposant des mises en situation, en étant plusieurs à participer au processus de recrutement pour discuter du candidat, on réduit forcément cette marge d’erreur. 

Vous aimerez aussi