Intégration du handicap dans l’entreprise : le parcours de l'entreprise Kumulus Vape qui a embauché trois personnes atteintes de surdité profonde

Intégrer des personnes en situation de handicap en entreprise ? On vous explique comment le faire et pourquoi le faire avec le témoignage de Kumulus Vape, une entreprise de la métropole lyonnaise.

« Depuis que nous avons accueilli dans nos équipes des personnes sourdes, nous avons progressé sur le plan logistique. C’est moins difficile que ce que nos appréhensions naturelles peuvent le faire penser et c’est une véritable richesse pour nos collaborateurs qui se retrouvent sensibilisés à la cause du handicap. »
Vincent Baudoin, directeur de la communication de l’entreprise Kumulus Vape

Jérôme, 45 ans, est sourd profond, le stade ultime de la surdité. Il ne perçoit que des sons sourds et lointains et communique avec les autres uniquement par gestes, la lecture ou l’écriture. Jérôme est responsable des commandes chez Kumulus Vape. Avant son recrutement en 2018, de nombreuses choses se passaient à l’oral au service logistique de cette entreprise de cigarette électronique. Pour trouver l’emplacement exact de l’une des quelques 11 000 références du catalogue – quelle allée ? quel rayon ? à quelle hauteur ? – il n’était pas inhabituel d’interroger la mémoire du plus ancien, parfois en s’interpellant d’un bout à l’autre de l’entrepôt.

Depuis l’arrivée de Jérôme, tout a changé au service logistique de Kumulus Vape, dont le fonctionnement interne a été entièrement digitalisé. Jérôme et ses collègues utilisent maintenant une tablette pour aller chercher avec leur chariot à roulettes le détail des commandes. Chaque jour, un millier de colis sont ainsi composés dans l’immense entrepôt de 4 000 m2 situé à Corbas, dans la métropole lyonnaise. Les responsables de cette jeune entreprise se félicitent de cette avancée.

« En modernisant notre chaîne logistique, ce qui allait dans le sens de notre croissance, nous avons élevé notre processus d’intégration des nouveaux collaborateurs. Nous avons progressé. », affirme Vincent Baudoin directeur de la communication de Kumulus Vape.

Pour Jérôme comme pour tous les autres employés, tout a commencé par un CV envoyé à l’entreprise, en réponse à une petite annonce. Les personnes qui souffrent de surdité, ainsi que celles qui souhaitent les embaucher, ne sont pas seules au monde. Elles ont le soutien actif de l’Association de Gestion du Fonds pour l’Insertion Professionnelle des Personnes Handicapées (AGEFIPH) et d’associations locales. Dans le cas de Jérôme à Lyon, c’était l’URAPEDA (l’Union Régionale des Associations de Parents d'Enfants Déficients Auditifs de Rhône-Alpes). Toutes ces structures (voir encadré) mettent à disposition gratuitement les services d’un traducteur en Langue des signes pour le premier entretien d’embauche.

« Dans le cas de Jérôme, cet entretien s’est parfaitement déroulé, explique Vincent Baudoin. Son profil nous intéressait, mais je ne vous cache pas que nous étions inquiets des conséquences de son arrivée. Allions-nous être à la hauteur ? Mais ce n’est pas parce qu’un candidat souffrait d’un handicap qu’on devait lui fermer la porte. C’était à notre entreprise de progresser et de se moderniser pour faciliter son intégration ».

La question numéro un était celle de la communication avec ses collègues entendants. « Pour qu’il puisse vivre la vie de l’entreprise. Or, nos personnels n’étaient absolument pas formés au langage des signes ».

Pour aplanir cette difficulté, les salariés ont été conviés à une cession de sensibilisation organisée par l’AGEFIPH. « On nous a expliqué ce qu’était la surdité, ses différents niveaux. Quelle était la perception du monde des sourds profonds, s’ils pouvaient tous lire sur les lèvres de leurs interlocuteurs. Les bases de la langue des signes ont ensuite été transmises à tous les employés. Comment dire bonjour, au revoir. Comment dire « Tu veux un café, un coup de main ? », les formules de la vie courante ».

Des affiches ont également été posées à des endroits stratégiques visibles par tous, comme à la machine à café par exemple. « Pour que cela devienne un réflexe de dire bonjour à Jérôme comme on le doit », précise Vincent Baudoin.

Jérôme tient aujourd’hui à rester anonyme. Lui aussi participe aux réunions de service où l’on met à plat le programme de la journée. Son chef de service tient en main son smartphone qui utilise une application qui enregistre ses paroles et les retranscrit immédiatement sur celui de Jérôme. « Sans que cela ne prenne plus de temps, précise Vincent Baudoin il peut ainsi être au même niveau que les autres. Si on fait le bilan, ajoute-t-il, depuis que nous avons accueilli dans nos équipes des personnes sourdes, nous avons progressé sur le plan logistique. C’est moins difficile que ce que nos appréhensions naturelles peuvent le faire penser et c’est une véritable richesse pour nos collaborateurs qui se retrouvent sensibilisés à la cause du handicap. J’engage toutes les autres entreprises à nous suivre ». Au total, trois personnes sourdes ont été successivement embauchées par cette entreprise qui compte près de 70 salariés.

INFOSENS accompagne gratuitement les employeurs publics et privés afin d’améliorer l’inclusion et le maintien dans l’emploi des personnes sourdes

En France, un bébé sur mille nait sourd et selon une étude de l’INSERM de 2022, une personne sur quatre est atteinte d’une déficience auditive. Qu’elle soit légère, moyenne, sévère ou profonde, la surdité concerne 7 millions de personnes et le chômage est élevé au sein de ce public.

Au cœur de Paris, un centre public d’appui et d’expertise en surdité, INFOSENS, fonctionne depuis 2020 dans les locaux de l’Institut national de jeunes sourds de Paris (INJS) pour aider les entreprises dans l’inclusion de personnes sourdes et accompagner tout porteur de ce handicap dans sa recherche d’emploi.

Pour Vincent Larronde, responsable de l’insertion professionnelle et des formations au lycée professionnel de l’INJS, les sourds ne sont pas victimes de discrimination au sens où ils seraient considérés comme inférieurs, mais de la peur de mal faire. « Celle de se retrouver avec une inclusion compliquée, explique-t-il. La surdité est un handicap silencieux associé au langage. Beaucoup se disent que cela ne sera pas possible. Les lycéens sourds qui recherchent un stage professionnel de courte durée pendant leurs études sont confrontés à cette même crainte. Notre travail est de trouver des solutions ».

Ces solutions passent par de nouvelles avancées technologiques mais pas seulement.
« Il existe des outils numériques comme les transcriptions automatiques sur un logiciel grâce à la reconnaissance vocale ou des visios interprétation/codage ou encore la velotypie. Les aides auditives ou implants cochléaires sont devenus performants ces dernières années », explique Bénédicte André, cheffe de service de la structure INFOSENS. « Un travailleur qui a les mêmes diplômes peut travailler comme tout le monde à condition de mettre en place des aménagements sur son poste de travail. Cependant, il est important de bien cerner les besoins de la personne sourde ou malentendante afin d'aménager son poste de façon optimale, d'où l'intérêt des sensibilisations auprès des référents handicaps ou des employeurs en termes d'accessibilité numérique », précise-t-elle.

INFOSENS propose ainsi gratuitement des sessions de sensibilisation aux acteurs publics et privés qui sont construits sur mesure en fonction de la demande.  L’objectif est de permettre aux professionnels, aux managers et aux collègues de comprendre la grande diversité de profils qui se cachent sous le terme de surdité. À Paris, rue Saint-Jacques, INFOSENS a mis en place un accueil physique pour les personnes sourdes et malentendantes. Cette permanence entièrement gratuite fonctionne sur rendez-vous. L’agent d’accueil pratique la langue des Signes Française (LSF), la Langue française Parlée Complétée (LFPC) et l’oralisme pour informer et mieux orienter ce public vers les organismes et interlocuteurs compétents. Enfin sur le site internet (www.infosens.fr), une personne sourde trouvera des informations pratiques et faciles à comprendre pour écrire un CV, une lettre de motivation ou entrer en contact avec la médecine du travail.